Les patients atteints d’un cancer différencié de la thyroïde à faible risque de rechute ne devraient plus recevoir un traitement à base d’iode radioactif après chirurgie thyroïdienne. Ce changement de paradigme qui plaide pour une désescalade de la prise en charge de ces patients a été démontré avec l’essai clinique prospectif randomisé de phase III, ESTIMABL2, promu par Gustave Roussy et qui a été principalement mené par des médecins-chercheurs de Gustave Roussy, de l’Inserm et de l’Université Paris-Saclay. Accompagnée d’une vidéo pédagogique, l’étude, publiée dans the New England Journal of Medicine du 10 mars 2022 et saluée dans l’éditorial de la revue donne lieu à un nouveau standard de traitement.
Les cancers différenciés de la thyroïde sont parmi les plus fréquents des cancers endocriniens (90 %) et présentent dans la majorité des cas (75 %) un faible risque de récidive à cinq ans. Pour ces patients, un traitement standard à base d’iode radioactif était jusqu’à présent utilisé après une résection de la glande thyroïde par chirurgie (thyroïdectomie) pour éliminer les reliquats thyroïdiens et les potentielles cellules cancéreuses. L’administration d’iode radioactif se déroule dans le cadre d’une hospitalisation de trois à cinq jours. Elle comporte peu d’effets secondaires hormis de rares nausées ou des problèmes des glandes salivaires et lacrymales. Par ailleurs, les grossesses sont contre-indiquées dans les six mois qui suivent un traitement par iode radioactif.
L’ajout d’iode radioactif après une thyroïdectomie est pratiqué depuis plus de 60 ans suite aux résultats d’études rétrospectives ayant montré un bénéfice sur la diminution des rechutes et de la mortalité dans les cancers différenciés de la thyroïde tous risques confondus. La question de son utilisation dans les cancers à faible risque restait posée suite à un précédent grand essai clinique randomisé et prospectif en 2012, ESTIMABL1 publié dans The New England Journal of Medicine qui démontrait qu’une dose d’iode trois fois moins élevée (1,1 GBq) apportait le même bénéfice qu’une dose de 3,7 GBq, sur la récidive de ce cancer.
La Dr Sophie Leboulleux, endocrinologue spécialiste des cancers de la thyroïde et ancienne cheffe du service de médecine nucléaire de Gustave Roussy jusqu’en 2021, a coordonné l’essai Stimulation Ablation 2 (ESTIMABL2). Dans ce vaste essai prospectif randomisé de phase III, 776 patients atteints d’un cancer différencié de la thyroïde à faible risque de rechute de 35 centres français ont été suivis pendant trois ans. Tous avaient précédemment subi une thyroïdectomie.
Les patients ont été répartis en deux groupes : ceux à qui un traitement d’iode radioactif (1,1 GBq) était administré après des injections de TSH recombinante, et ceux n’en recevant pas qui bénéficiaient d’un suivi seul.
L’objectif principal de l’étude était d’évaluer si la stratégie de suivi sans iode radioactif se révélait non inférieure à la stratégie avec iode sur la survenue d’évènements carcinologiques, c’est-à-dire en comparant l’apparition d’anomalies fonctionnelles (anomalies sur la scintigraphie), morphologiques (adénopathies cervicales ou récidive dans la loge de thyroïdectomie sur une échographie du cou) ou biologiques (élévation de la thyroglobuline ou des anticorps anti thyroglobuline, un marqueur tumoral sanguin) survenues au cours des examens pendant trois ans.
Les résultats de l’étude, publiés dans The New England Journal of Medicine, indiquent que 95,6 % des patients n’ayant pas reçu d’iode radioactif n’ont eu aucun évènement carcinologique, versus 95,9 % dans le groupe de ceux qui en ont reçu. L’équipe a également constaté, à l’aide de questionnaires, que leurs scores d’anxiété (peur de la rechute) et de qualité de vie étaient à des niveaux similaires.
« La grande force de cet essai, outre la taille de son échantillon, réside dans sa méthodologie robuste et son fort niveau de preuve » explique la Dr Leboulleux « Même si l’iode radioactif entraîne peu d’effets secondaires à ces doses, les bénéfices pour les patients sont importants puisqu’une hospitalisation de trois à cinq jours peut ainsi leur être évitée ».
Une diminution des coûts de la prise en charge par l’Assurance Maladie est donc aussi attendue, puisqu’une hospitalisation sera épargnée. Pour évaluer plus précisément l’impact de ces conséquences médico-économiques, Sophie Leboulleux et Isabelle Borget, statisticienne et économiste de la santé à Gustave Roussy, ont lancé l’étude COSTIMABL2, qui vise à apparier les données d’ESTIMABL2 avec les données de remboursement des soins pour l’Assurance Maladie.
La recherche pour alléger la prise en charge tout en maintenant la même efficacité de soins se poursuit avec deux essais en cours. L’essai prospectif et randomisé ESTIMABL3, mené par la Dr Dana Hartl, évalue le bénéfice de l’absence d’un curage ganglionnaire lors de la thyroïdectomie dans ces cancers à faible risque et l’essai randomisé INTERMEDIATE, mené par le Dr Stéphane Bardet, évalue l’intérêt d’un traitement à l’iode radioactif basé sur les résultats post-opératoires chez les patients à risque intermédiaire de rechute.