Financement participatif ou crowdfunding : l’expression est à la mode, et comme d’autres activités nées du boom des nouvelles technologies, le phénomène connaît une véritable montée en puissance. Rien qu’au premier semestre 2013, il a permis de collecter 33 millions d’euros pour l’amorçage ou le développement de plus de 24 000 initiatives de toutes natures.
Une table ronde organisée en novembre par Baker Tilly France a permis à plusieurs acteurs majeurs de la finance participative de faire part de leurs regards croisés sur le crowdfunding. Cette conférence était animée par deux cabinets d’expertise comptable, d’audit et de conseil particulièrement impliqués sur le thème des nouveaux modèles et de la performance globale, GMBA Baker Tilly - premier dans son secteur à avoir obtenu le label LUCIE, label RSE de référence - et FIMECOR Baker Tilly.
Retour sur ces échanges qui illustrent bien la portée de ce phénomène.
Qu’est-ce que le crowdfunding ?
Il s’agit d’un nouveau modèle de financement en circuit court, qui permet aux porteurs de projets, très souvent innovants, dans les domaines artistique et culturel, technique et scientifique, politique, mais aussi entrepreneurial, social ou caritatif... de lever des fonds directement auprès du grand public. Il est porté par des plateformes web qui se substituent aux intermédiaires traditionnels - banques, fonds de capital-risque, business angels - en jouant un rôle de mise en relation. Elles proposent aux particuliers, « la foule », de mobiliser leur capacité de financement dans le cadre de projets qu’ils choisissent eux-mêmes, selon plusieurs formules - don, prêt, prise de participation - et pour des montants qui vont de quelques dizaines à plusieurs dizaines de milliers d’euros.
La multiplication de montants plus ou moins importants apportés par une multitude d’individus permet de rassembler des sommes considérables, autorisant la naissance d’une initiative que le manque de fonds - et souvent de soutien de la part des financeurs traditionnels - n’avait pas permis jusque-là.
Le crowdfunding : innovation sociale et citoyenne
Bien loin de constituer un phénomène isolé, le financement participatif est le fer de lance d’un basculement progressif de nos modèles économiques.
Il s’inscrit dans une logique de proximité, de désintermédiation des échanges et de « retour au sens » alimentée par la défiance grandissante envers la finance de marché, sur fond de connectivité et de viralité des informations portées par le web 2.0.
A l’instar de beaucoup d’autres modèles qui suivent cette logique - le co-voiturage, l’hôtellerie peer-to-peer, le recrutement participatif... - le crowdfunding bouscule l’économie, les possibilités d’allocation des ressources, l’équilibre des pouvoirs au sein des systèmes traditionnels de financement.
Selon Michel Gire, associé gérant de GMBA Baker Tilly : « Innovation citoyenne, il permet aux particuliers d’être acteurs de l’économie réelle tant au plan local pour financer la restauration d’un monument ou le sauvetage d’un commerce de village par exemple, qu’au-delà des frontières, pour participer à une action humanitaire ou apporter sa pierre à un projet étranger... et réconcilie les Français avec l’esprit d’entreprendre en modifiant profondément notre culture du risque. »
Des success stories qui confirment les potentialités de ce nouveau modèle
Le témoignage de Séverin Marcombes, qui faisait part de son expérience dans le cadre de la table ronde, illustre bien l’envergure des projets qui peuvent être propulsés grâce au crowdfunding.
A 26 ans à peine, ce jeune ingénieur français co-fondateur de la start-up ForgetBox s’est lancé en juillet 2013 dans une campagne de levée de fonds sur la plateforme américaine Kickstarter afin de financer la mise en production de son projet baptisé Lima : un mini-boîtier de stockage capable d’unifier la mémoire de tous nos appareils, sans être limité par la taille de leurs mémoires respectives.
A l’issue d’une campagne dont l’objectif initial était de collecter 69 000 dollars en deux mois, ForgetBox a levé 1,23 million de dollars sous forme de préventes... et ce qui devait être une première prise de température du marché auprès d’un millier d’utilisateurs-tests s’est avéré devenir une véritable commande à échelle industrielle.
De tels succès restent exceptionnels - le montant moyen de collecte en France était de 1378 euros au premier semestre 2013, tous types de crowdfunding confondus - et encore rares en dehors des Etats-Unis. Mais ils préfigurent l’extension de ce modèle alternatif bien au-delà de modestes projets solidaires ou de l’amorçage de projets entrepreneuriaux de petite ampleur.
Plusieurs acteurs du financement des PME sont d’ailleurs mobilisés sur le sujet depuis quelques années, à l’instar du think-tank PME Finance, dont le Président Jean Rognetta suit de près l’évolution du crowdfunding. Très concrètement, de nombreuses plateformes voient le jour avec pour objectif d’offrir des solutions à l’ensemble des PME en mal de financement - comme Unilend, dédiée au financement du BFR (besoin en fonds de roulement) grâce à des prêts consentis par des particuliers - ou de relayer le financement public territorial. De même, le financement participatif sous forme de prise de participations - qui draine les plus grandes collectes - bien qu’encore embryonnaire, nourrit de grandes ambitions, si la règlementation à paraître début 2014 ne lui oppose pas trop d’obstacles.
La récente prise de participation de Google dans la plateforme Lending Club, leader américain du prêt entre particuliers, illustre bien à quel point le phénomène est considéré comme un modèle d’avenir.
Un outil alternatif ou complémentaire aux parcours de financement traditionnels
Parce qu’elle crédibilise les projets qu’elle permet de financer à travers l’adhésion d’un grand nombre de particuliers et/ou d’investisseurs, une levée de fonds réussie via les plateformes de crowdfunding constitue un excellent tremplin pour l’obtention de financements complémentaires auprès d’organismes bancaires et/ou de business angels, souvent inaccessibles auparavant.
L’hybridation des modèles intégrant une part de financement participatif et une part de financement traditionnel devient d’ailleurs un véritable phénomène, à mesure que les acteurs historiques de l’épargne, du crédit et de l’investissement s’associent ou prennent des participations dans les principales plateformes sur leur marché.
Dans le secteur du prêt en revanche, les plateformes de crowdfunding se posent en concurrentes directes du secteur bancaire. « Le crowdfunding a vocation à remplacer des pans entiers du système financier », selon les prévisions de Charles Egly, cofondateur de Prêt d’Union, première plateforme française de crédit entre particuliers.
Entre désintermédiation et besoin d’accompagnement
Pascal Ferron, vice-président de Baker Tilly, précise : « En tant qu’interlocuteur privilégié des entrepreneurs dans la fiabilisation de leurs informations financières notamment, l’expert-comptable a tout son rôle à jouer dans le succès des levées de fonds. Car si la finance participative permet aux porteurs de projets de se passer des intermédiaires traditionnels, la nécessité d’être accompagné n’en disparaît pas pour autant. »
En effet, les projets qui atteignent ou dépassent leur objectif de financement initial sont avant tout des projets qui convainquent en premier lieu les plateformes qui vérifient la faisabilité et l’adéquation du projet avec leur offre, et dans un second temps les financeurs bien sûr, qui ont potentiellement accès aux projets des quelque 800 plateformes qui existent à ce jour.
C’est a fortiori le cas des projets qui ont vocation à être financés via l’equity-based crowdfunding (participation en fonds propres), qui sont soumis à des parcours de sélection d’autant plus exigeants que les sommes investies, donc la prise de risque, sont plus importantes.
Forte d’un comité de sélection qui évalue la pertinence des projets selon 25 critères, la plateforme Anaxago n’a ainsi retenu qu’une quinzaine de dossiers en 2013, dont huit ont été financés, mais pour un montant de collecte total de plus de 2 millions d’euros, et un ticket moyen de 8 000 euros par investisseur.
La forte expansion du nombre d’initiatives proposées et financées par les plateformes de crowdfunding - en augmentation de 36 % en 2013 par rapport à l’année précédente rien qu’en France - confirme le durcissement de la concurrence. Dans ce contexte, où qualité et crédibilité notamment du business plan, du rapport de valorisation de l’entreprise et des projections financières à trois ans sont essentielles, être accompagné peut devenir incontournable. En amont, mais également dans la gestion des fonds collectés, surtout lorsque leur montant dépasse de loin l’objectif initial...
Le crowdfunding demain ?
Vincent Ricordeau, venu témoigner sur son expérience en tant que co-fondateur des plateformes respectivement de don et de prêt solidaire KissKissBankBank et HelloMerci, nous révélait en novembre des taux de croissance annuelle à trois chiffres sur ses deux activités. Le succès de KissKissBankBank ne se dément pas avec près de 10 millions d’euros collectés auprès de 200 000 « KissBankers ». Une tendance qu’il voit se poursuivre dans les années à venir.
Les plateformes de financement en fonds propres sont plus réservées sur leur avenir entre nouveau plafond de levée de fonds annoncé à 300.000 euros et remise en cause de leur business model fondé sur une rémunération au pourcentage prélevé sur les sommes effectivement collectées, qui pourrait bientôt être interdite.