Josh Leuenberger aborde ici les exigences de plus en plus rigoureuses imposées aux vannes critiques pour la sécurité dans le nucléaire et explique comment les principaux acteurs de ce secteur y font face grâce àdes solutions et technologies inédites.
Les vannes utilisées dans le nucléaire remplissent généralement l’une des quatre fonctions suivantes : isolation, non retour (clapet), dépressurisation d’urgence et régulation/étranglement. Le type le plus exigeant, ce sont les vannes de régulation modulante, qui doivent être très sophistiquées pour réguler différentes variables de fluide comme le débit d’écoulement, le niveau de liquide, la température et la pression dans des plages précises afin de garantir la sûreté et l’efficacité de fonctionnement du réacteur.
Les vannes de régulation sont souvent des robinets à soupapes, des vannes papillon ou des vannes à boule, mais le type robinet à soupape est le plus prisé pour des performances élevées.
Quel que soit le type de vannes, la conception et la sélection des matériaux seront fortement influencées selon que la tâche est classée ou non comme traitant de sûreté et sécurité. Dans l’affirmative, la vanne doit être conforme aux exigences de la norme 10CFR partie 50, annexe B de l’US Nuclear Regulatory Commission, la Commission américaine de réglementation nucléaire, qui est exécutoire dans le monde entier. L’annexe B stipule un vaste ensemble d’exigences en matière d’assurance-qualité pour s’assurer du contrôle suffisant de tous les processus clés de conception, ingénierie et production, de façon à garantir les performances des équipements de sécurité. Cependant, au-delà de ces considérations, le concepteur du système a obligation de donner au fournisseur de vannes des informations détaillées sur l’application, y compris la manière et les circonstances dans lesquelles la vanne doit remplir sa fonction de sécurité, ce afin de permettre au fournisseur de la concevoir en conséquence.
Une tendance, illustrée par les modèles de réacteurs nucléaires de type Westinghouse AP1000, se dégage dans la conception des réacteurs nucléaires : la plus grande importance accordée aux systèmes de sécurité passive, comme l’eau s’écoulant par gravité au lieu d’être pompée ; cette procédure a pour effet de limiter le niveau requis d’intervention de l’opérateur ou l’alimentation en courant continu, les vannes devant être adaptées par conception pour fonctionner de concert avec ces systèmes. Les besoins grandissants en retour d’information en temps réel de la centrale en salle de contrôle ont également conduit à la mise au point de positionneurs numériques de vannes. Il s’agit là de systèmes de contrôle intelligents qui, outre l’interprétation des signaux et du déclenchement le cas échéant du mouvement des vannes, sont en mesure d’enregistrer les ces mouvements, voire de réaliser un diagnostic de maintenance des vannes.
En raison de la grande diversité des centrales nucléaires et des exigences d’exploitation, les vannes standards des catalogues des fabricants s’avèrent en général inadéquates compte-tenu des cahiers des charges spécifiques aux applications liées à la sécurité ; autrement dit, les vannes sur mesure deviennent de plus en plus la règle dans ce secteur.
Une vanne mal ajustée ou mal spécifiée se traduira au mieux par un niveau de bruit et de vibrations élevé, au détriment de la longévité et des performances d’autres composants du système tandis-que les conséquences catastrophiques d’une défaillance totale ne sauraient tout simplement être tolérées.
En d’autres termes, tant pour les applications existantes que nouvelles constructions, il est logique que la personne responsable de la rédaction des spécifications techniques des vannes collabore dès le départ avec les fournisseurs potentiels. Des spécifications trop rigides font courir le risque d’un composant trop sophistiqué engendrant des coûts inutiles,ou l’oubli d’une fonction essentielle, avec la survenue en aval de problèmes plus graves. Un fournisseur de vannes spéciales prendra le temps de bien comprendre l’application et ce que le client attend de la vanne ; ensuite, il la concevra en conséquence et la soumettra à de nombreux essais pour garantir sa parfaite adéquation avec la fonction en conditions réelles d’exploitation.
En témoigne une récente application impliquant une centrale nucléaire américaine dotée de deux réacteurs à eau bouillante (REB), d’une capacité dépassant 1 gigawatt par tranche. Cette centrale faisait l’objet d’une importante augmentation de capacité pour un gain de puissance prévu de 12%, qui s’accompagnait d’une élévation proportionnelle de la température du système rendant nécessaire une plus grande capacité de refroidissement.
La centrale avait notamment besoin de prévoir un prélèvement de chaleur supplémentaire selon différents scenarios et types d’accidents. L’une des hypothèses envisageait une disponibilité de charge électrique réduite, synonyme d’un nombre inférieur de pompes de refroidissement disponibles : un problème potentiellement important dans le cadre d’une puissance accrue. La question a été résolue par l’ajout d’une connexion permettant aux nouvelles tuyauteries et vannes de contrôle d’assurer la jonction croisée de boucles, de façon qu’en cas d’indisponibilité d’une pompe, deux échangeurs thermiques puissent être alimentés par une seule pompe pour augmenter la capacité de refroidissement. Bref, un défi majeur pour les vannes de contrôle qui devaient être capables, dans ce nouveau mode de fonctionnement, d’équilibrer soigneusement les débits.
Tout d’abord, la vanne devait fonctionner dans une zone de cavitation : d’où la nécessité d’un siège multi-étagé de protection anti-cavitation. En outre, les images des caméras immergées d’inspection à distance mises en place pour contrôler le réacteur risquaient d’être affectées par des vitesses élevées du fluide, d’où la nécessité d’étages supplémentaires de siège des vannes pour réduire la vitesse de sortie à une valeur minimale.
Le cahier des charges spécifique, extrêmement précis en matière de capacité de débit, soulevait cependant des problèmes particulièrement complexes. En position complètement fermée, les vannes devaient transmettre 4000 à 4100 gpm (900 à 922,5 m3/h) afin de protéger les pompes et d’empêcher l’apparition de vibrations au-dessous de 4000 gpm. Les vannes se déclenchant par déplacement du siège, un profil spécifique de coefficient de débit (Cv) par rapport à la course était souhaitable. Les vannes devaient être commandées à distance depuis la salle de contrôle par un opérateur procédant, au moyen d’une molette jog, à l’ouverture ou à la fermeture des vannes pour équilibrer le débit. Dans deux zones de débit spécifiques, le taux de variation de débit devait être de 100 gpm (22,74 m3/h) par seconde de fonctionnement du moteur. Un grand obturateur à cage a également été placée sur le dessus afin d’offrir une capacité de débit mono-étage 100% redondant pour les scénarios de refroidissement d’urgence les plus pessimistes.
La vanne étudiée était extrêmement robuste, capable de fonctionner avant, pendant et après un événement sismique. Le siège de la vanne comportait six zones de gestion de débit distinctes pour fournir la configuration unique, élément de débit minimum compris, susceptible de garantir en position fermée un débit précis de 4000 gpm (900 m3/h). Le siège ainsi défini, baptisé empilement de disques, comportait une conception multi-trajets et multi-étagée constituée d’une pile de disques métalliques séparés, creusés chacun de plusieurs trajets sinueux, puis soudés ensemble de façon à former un solide élément fonctionnel.
Chaque disque pouvait être pourvu d’un nombre différent d’étages : autrement dit, les pentes de la courbe de Cv pouvaient être définies sur mesure, offrant par là-même une résistance au débit variable sur toute la course de la vanne.
En raison du contrôle de débit crucial pour cette application, IMI Critical Engineering a développé un programme d’essais et de vérification exhaustif des performances réelles de débit de ce matériel. Les essais ont donné lieu à des mesures précises du coefficient de débit (Cv) réalisé, à l’introduction d’une étape dans le processus de fabrication pour affiner les empilements de disques en fonction des données d’essai de coefficient de débit (Cv) initiales, puis à des tests pour validation finale des vannes avant de procéder à leur installation. La participation du fournisseur dès le début du projet s’est avérée essentielle pour répondre aux exigences spécifiques de l’application et aboutir à une solution sur mesure, parfaitement adaptée.