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Dossiers

Conséquences du NO DEAL pour la France

Par Gary Haworth, Directeur Général du Groupe TOUPRET

Publication: Décembre 2020

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Si la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne est bel et bien officielle depuis le 31 janvier dernier, les Britanniques quitteront le marché unique et l’union douanière le 31 décembre prochain...
 

Les discussions se poursuivent actuellement à Bruxelles entre les équipes de négociateurs européens pour trouver un accord sur une future relation commerciale, mais l’issue semble s’éloigner et le no deal parait être le plus probable.

Le franco-britannique Gary Haworth, Directeur général du Groupe TOUPRET, leader sur le marché de la préparation des murs avant peinture retrace les différentes étapes de la préparation du Brexit et livre ses impressions sur le défi que représente le probable « NO DEAL ».

TOUPRET est un fabricant français, pouvez-vous nous en dire plus sur vos liens avec la Grande-Bretagne ?

Nous sommes fabricants d’enduits et nous produisons dans trois usines implantées en France, à Corbeil-Essonnes et à Tigery (91) ainsi qu’à Estivareilles (42). Près du tiers de notre C.A. est réalisé à l’export, notamment sur le marché britannique qui représente 30% de cette activité, soit 8 à 10 % du total de nos ventes. Notre filiale anglaise est située à Croydon dans la banlieue sud de Londres. Elle compte 15 personnes (service commercial, marketing, entrepôt et centre logistique).

Quels sont les avantages d’avoir opté pour une filiale implantée au Royaume-Uni ?

Il y a deux raisons principales. Tout d’abord, il s’agit d’un marché à la fois très développé et complexe. C’est pourquoi nous avons besoin de spécialistes locaux, capables de maitriser ses particularités et disponibles sur place de façon permanente. D’autre part, la plupart de nos clients distributeurs sont présents dans toute l’Europe et attendent un niveau de service identique dans tous les pays. C’est la raison pour laquelle nous avons ouvert la filiale britannique en 2004. Les habitudes de consommation sont différentes : par exemple, contrairement à la France, les opérations de finition sont plus couramment exécutées par les plâtriers que par les peintres.

Comment avez-vous réagi aux annonces d’un possible « NO DEAL » qui risqueraient de compliquer les relations commerciales avec la Grande-Bretagne ?

Je ne peux pas dire que nous sommes totalement rassurés par la tournure que prennent les évènements. Nous avons commencé à anticiper dès l’annonce des premiers résultats du référendum les conséquences d’un No Deal.

Notre grande force chez TOUPRET est l’anticipation. Nous avons donc mis en place en 2018 une équipe dédiée pour mener à bien cette mission : une « BREXIT TASK FORCE » qui regroupe les directions financières, juridiques, industrielles. Ainsi, depuis plus de deux ans, nous nous préparons à toutes les éventualités.

Quel est le rôle de cette Task Force ?

La « BREXIT TASK FORCE » se réunit tous les 10 jours.

Notre première mission a été de nous tenir informés des décisions politiques et des directives ministérielles autant françaises que britanniques. Jamais elles n’ont été aussi importantes depuis ces dernières années pour le commerce entre la France et la Grande-Bretagne, et plus largement pour les échanges dans l’Union européenne. Il nous a fallu être à l’écoute. Nous nous sommes rapprochés des organisations officielles, susceptibles de nous conseiller, les douanes notamment, mais comme eux nous apprenions au fur et à mesure et rien n’était tout à fait définitif. Une incertitude faisait place à d’autres questionnements et ainsi de suite.

Afin ne pas être pris de court au niveau des livraisons, nous avons créé un stock tampon, pour le mois de janvier 2021, à peu près deux fois plus important que notre flux habituel. Et notre stock habituel est déjà bien plus important qu’au début des négociations pour le Brexit car nous connaissons une forte activité sur ce marché. Il faut savoir que nous avons pour ambition de doubler notre chiffre d’affaires d’ici à 3 ou 4 ans. Autant dire que nous avons besoin de marchandises.

Quelles sont vos principales préoccupations pour le 1er janvier 2021 ?

Notre principale inquiétude concerne le passage des frontières. Même si les procédures sont parfaitement huilées, nous devrons faire face au blocage du fret à la frontière. Il faut savoir que 10.000 camions passent chaque jour par Douvres. Si nous ajoutons ne serait-ce que 5 minutes de contrôle pour chaque véhicule, il faudrait plus de 80 heures par jour ! D’immenses parkings ont été construits en prévision des files d’attente avant d’accéder au port, mais cela ne suffit pas.

Côté français, nous sommes en avance avec la mise en place de la « frontière intelligente ». Le dossier de passage aux douanes est préparé et envoyé en amont, ensuite le contrôle s’effectue par lecture automatique de la plaque d’immatriculation du véhicule. C’est assez rapide. En revanche, du côté anglais, à ma connaissance, un tel système n’existe pas !

Aujourd’hui nous avons le sentiment que le système britannique ne sera pas opérationnel pour le 1er janvier 2021 : nous ne savons pas encore comment prendre rendez-vous avec les entrepôts de nos clients afin de respecter la procédure de préavis de 24 h avant la livraison alors que l’on nous annonce des délais pouvant aller jusqu’à 5 jours. Aussi, le risque de nous voir octroyer des pénalités de retard est très important !

Avec le recul, pensez-vous qu’il aurait fallu mettre en place d’autres actions chez Toupret ?

Non, nous avions prévu pratiquement tous les cas possibles et modélisé toutes les réponses à apporter. Il aurait été difficile d’en faire plus. D’ailleurs, je pense que nous avons peut-être été trop prudents. Nous avons certainement travaillé sur des points qui pourraient ne pas être nécessaires. Je préfère cela, car pour moi, il était inenvisageable de ne pas se préparer très sérieusement. Dans ce contexte ma devise est « Planifier pour le pire et espérer pour le meilleur ».

Avez-vous dû renoncer à certains projets ?

Absolument pas. Nous avons poursuivi la mise en œuvre de notre plan stratégique. À titre d’exemple, nous avions prévu le déploiement de notre nouvelle plateforme de marque et notamment la refonte des packagings pour le marché britannique pour le deuxième trimestre 2021 et nous serons dans les temps.

Quels sont les points forts qui vous ont aidé à vous préparer ?

Nous avons considéré que nous allions devoir envisager le commerce avec la Grande-Bretagne comme « le grand export » d’un point de vue organisationnel. Je dois avouer que nous avons la chance de connaitre les rouages de l’exportation. Nous travaillons depuis plusieurs années avec l’Afrique et le Moyen-Orient par exemple. Cela nous a vraiment aidés, car nous maitrisons les mécanismes.

Est-ce que vous avez un espoir d’obtenir plus de délais pour vous préparer ?

Initialement, il était prévu un délai de deux ans et nous avons déjà obtenu un an de plus. Nous souhaiterions aussi avoir plus de temps pour les mises aux normes réglementaires des produits. D’un point de vue des règlements comme le REACH, la réglementation qui concerne les produits chimiques, nous pensons que nous aurons pas mal temps supplémentaire pour faire notre déclaration et obtenir les nouvelles certifications REACH britannique.

Quelle serait la conséquence principale d’un NO DEAL ?

C’est la première fois que nous connaissons un tel changement. Au cours des années passées, il nous a fallu aller de l’avant pour construire des relations commerciales fluides. Aujourd’hui, il s’agit selon moi d’un retour en arrière, ce qui est compliqué à gérer.

De toutes façons, nous ne pouvons pas cesser de livrer outre-Manche, car nos clients sont souvent internationaux et négocient des conditions commerciales à échelle européenne. Nous devrons honorer nos contrats.

Concrètement, y aurait-il des modifications de fonctionnement avec votre filiale britannique ?

Oui, tout à fait, nous allons devoir établir un véritable contrat commercial avec notre propre filiale. Cela implique des changements comptables, notamment au niveau de la TVA et donc des coûts supplémentaires. Et les choses se compliquent encore quand il s’agit de prendre en compte le cas de l’Irlande avec les spécificités de refacturation de la TVA.

Est-ce que vos partenaires sont concernés par les nouvelles mesures à venir ?

Oui, toute la chaine de nos partenaires est concernée. Nous allons devoir travailler main dans la main. En effet, certains composants de nos produits sont soumis à de nouvelles déclarations et pour certains de nos fournisseurs, il n’est pas du tout intéressant de se plier à ces contraintes administratives uniquement pour nous. Aussi, nous devrons certainement travailler ensemble à la résolution de ce problème.

Avec près de 10% de votre chiffre d’affaires réalisé en Grande-Bretagne, est-ce que vous avez des craintes aujourd’hui ?

Oui, notamment en termes de compétitivité. Avec un retour des droits de douane, les entreprises françaises qui exportent vers la Grande-Bretagne seront pénalisées. En effet, sachant que nous serons plus taxés, nos produits seront plus chers et moins compétitifs.

Quelle est exactement la situation pour TOUPRET du point de vue des taxes douanières ? Est-ce que vous y voyez clair ?

Même s’il y a un accord commercial entre le Royaume Uni et l’Union européenne il y a aura des changements et des nouvelles procédures de toute manière. Si les politiques ne parviennent pas à un accord, il faudra nous accommoder des règles de la World Trade Organisation. Selon nos estimations, cela signifie 5 à 7 % de taxes supplémentaires. Cela dit, nous ne sommes pas certains de devoir absorber ces taxes, c’est encore flou. Nous devons nous y préparer, mais pour l’instant il est trop tôt pour le dire.

Par contre, il est certain que les procédures douanières resteront en vigueur et cela représente un coût important pour nos structures. Nous avons déjà prévu une facturation spéciale, des bons de préparation adaptés. Notre informatique côté français est mobilisée pour ce défi et nous sommes en cours de finalisation côté britannique.

Compte tenu du contexte, la date du 1er janvier est-elle propice aux changements ?

Ce n’est pas la meilleure période. Le flux créé par la période de Noël va engorger un système saturé par les conséquences de la Covid-19 et les reports de livraison depuis l’Asie. Concrètement, il y a un manque crucial de containers et personne n’a pensé à cela. Certains députés britanniques prônent le report sur le port de Southampton par exemple, mais il y a déjà des engorgements, des heures d’attente avec des porte-containers qui font demi-tour pour rejoindre Rotterdam (afin de passer les marchandises par la route).

Y a-t-il des coûts induits ou cachés auxquels il faudrait penser ?

Il y a de multiples conséquences financières. À titre d’exemple, nous devons établir un nouveau contrat avec les transporteurs qui prévoient les procédures douanières et cela à un coût. Je vous ai parlé de gestion de la TVA. Cela représente également un coût supplémentaire. En effet, les sociétés de transport sont amenées à gérer de nouvelles taxes et nous les refacturer à échéance. Pour cela ils doivent mobiliser leur trésorerie et cela occasionne des frais financiers que nous devrons intégrer.

Pensez-vous que cela va impacter votre compétitivité ?

Oui et non. Il est clair que nous devrons absorber de nombreux coûts supplémentaires. Mais nous sommes convaincus que cela va nous pousser à relever de nouveaux défis pour rester compétitifs. Depuis toujours, le métier des industriels c’est de résister à la pression des augmentations de matières premières par exemple ou des coûts de main d’œuvre. Je suis de nature optimiste et je suis certain que c’est un défi de plus à relever.

Quelle sera la plus grande difficulté pour faire face à ce défi ?

Nous avions besoin de renforcer les équipes de la filiale pour répondre à une demande croissante sur ce marché et des objectifs ambitieux. Je pense que nous devrons attendre afin de limiter les coûts. D’une manière générale, cela risque de freiner nos investissements et les embauches.

Si c’était à refaire, est-ce que vous changeriez quelque chose ?

Peut-être les résultats du référendum... si je peux me permettre une pointe d’humour ! Plus sérieusement, je pense que l’on aurait pu se mobiliser plus tôt pour changer le marquage sur les produits afin de respecter les normes et les législations. Aujourd’hui tout est en place, mais nous avons dû aller très vite.

Sur un marché fortement concurrentiel, quels sont les atouts qui permettent de rester performant ?

Chez TOUPRET, notre grande force ce sont nos équipes. J’ai pu voir leur immense mobilisation pendant la crise que nous venons de passer. Ils ont fait preuve d’engagement et d’adaptabilité. Je connais les équipes en France comme en Grande-Bretagne et je connais leur valeur. Je sais que nous travaillons tous dans le même état d’esprit et je suis parfaitement rassuré sur notre capacité à gérer cette étape de la vie de l’entreprise.

Quel dernier conseil pouvez-vous donner aux industriels français qui sont dans votre cas ?

Il faut vraiment mettre en place plus de moyens. Il est indispensable de dédier une personne ou créer un service pour la partie administrative, remplir tous les formulaires, etc. Cela repose sur des compétences multifacettes avec des connaissances juridiques, logistiques et financières. Il faut tout mettre en œuvre pour réussir cette transition. C’est un marché fortement importateur qui représente un très haut potentiel commercial de 66 millions de personnes. Les Britanniques sont des consommateurs formidables et ce n’est pas moi qui dirais le contraire ! Il y a des données inconnues que nous serons obligés de gérer le moment venu. Il faut être conscient des problèmes, mais ne pas se laisser intimider. Nous devons rester confiants !

http://www.toupret.com/

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