L’interruption soudaine du trafic aérien imposée par la Covid a durement frappé le secteur. En avril 2020, les deux tiers de la flotte mondiale d’avions commerciaux étaient immobilisés et le nombre de passagers affichait une baisse de 90% en année glissante. Aujourd’hui, le secteur de l’aviation se redresse lentement, grâce aux vols intérieurs. C’est dans ce contexte qu’un nouveau rapport de l’assureur de l’aviation Allianz Global Corporate & Specialty (AGCS) met en évidence les défis exceptionnels que doivent relever les compagnies aériennes et les aéroports, de la remise à niveau des compétences des pilotes à la protection des instruments contre les insectes. Ce rapport recense également les différentes transformations du secteur liées à la crise. Celles-ci engendrent des changements à long terme dans la composition des flottes, les liaisons aériennes et la demande des passagers.
« Pendant la pandémie, l’immobilisation au sol des flottes du monde entier a été un événement sans précédent dans l’aviation, » souligne Dave Warfel, directeur régional de l’aviation chez AGCS. « Les compagnies aériennes ont travaillé sans relâche pour entretenir leurs flottes et entraîner leurs équipages pendant cette longue période d’inactivité. De notre côté, en tant qu’assureurs, nous sommes mobilisés à leurs côtés pour bien comprendre leurs plans de remise en service. Les difficultés se manifesteront sans nul doute à mesure que l’activité redécollera. S’il est délicat de prédire avec exactitude quelle sera la forme du secteur aérien à l’avenir, une chose est sûre : elle aura changé. »
Les grandes compagnies aériennes ont élaboré différents programmes de formation pour le retour à l’activité des pilotes, en fonction de leur durée d’absence. Néanmoins, des dizaines de pilotes ont déclaré avoir commis des erreurs de pilotage, principalement à cause d’un manque d’entraînement, depuis qu’ils ont repris les vols cette année. Certains ont, par exemple, multiplié les tentatives d’atterrissage. Même si ces incidents n’ont causé aucun accident ni sinistre, le rapport souligne qu’il est important d’en tenir compte, au cas où des mesures supplémentaires s’avéreraient nécessaires.
Le redémarrage des vols privés sur les sites touristiques pourrait augmenter les risques pour les petits aéronefs de loisirs, y compris les hélicoptères, notamment en cas d’afflux de nouveaux pilotes, peu familiarisés avec les routes et le terrain. Ces dernières années, plusieurs accidents mortels impliquant des vols touristiques privés se sont ainsi produits.
Le comportement perturbateur de certains passagers à bord des appareils devient de plus en plus préoccupant, en particulier aux États-Unis. Au cours d’une année normale, on compte environ 150 rapports sur des troubles causés par des passagers en avion. À fin juin 2021, selon la Federal Aviation Administration, 3 000 rapports avaient déjà été dressés, dont la majorité concerne des passagers qui avaient refusé de porter un masque. Le rapport d’AGCS signale que les passagers indisciplinés peuvent se plaindre par la suite d’une discrimination de la compagnie aérienne, même lorsqu’ils sont en tort. C’est pourquoi les assureurs doivent suivre cette tendance attentivement.
Même si une grande partie de la flotte aérienne mondiale est restée clouée au sol pendant la pandémie, et l’est encore, les expositions aux risques n’ont pas disparu. Elles ont simplement changé. Les flottes immobilisées sont soumises aux événements météorologiques. En mai 2021, au Texas, plusieurs appareils Boeing 737 Max 8 ont été endommagés par des grêlons de la taille d’une balle de golf.
Le risque lié aux manœuvres et incidents au sol augmente également et peut entraîner des sinistres coûteux. Au début de la pandémie, plusieurs collisions ont eu lieu durant le transfert d’appareils vers des entrepôts. Elles peuvent aussi se produire lorsque les avions sont déplacés pour leur remise en service.
Les avions stockés font l’objet d’une maintenance périodique afin qu’ils soient prêts à redécoller. Cependant, le nombre d’avions temporairement hors service n’a jamais été aussi élevé. À cet égard, le rapport indique que les petites compagnies aériennes pourraient connaître d’importantes difficultés pour la remise en service de leurs flottes, puisqu’il s’agit d’un processus tout à fait inédit.
Aussi incroyable que cela puisse paraître compte tenu de la crise, l’aviation mondiale fait face à une pénurie de pilotes à moyen et long terme. Avant la pandémie, avec la hausse considérable du trafic aérien – et une croissance du nombre de passagers chinois de plus de 10% par an depuis 2011 –, la demande de pilotes dépassait déjà l’offre. Dans la prochaine décennie, plus de 250 000 pilotes devront être recrutés.
« À cause de cette pénurie, les pilotes d’avions commerciaux risquent d’avoir une expérience limitée et un nombre d’heures de vol réduit, » signale Dave Warfel. « La fatigue peut aussi devenir un problème pour les pilotes actuels. »
Certaines compagnies aériennes constituent leur propre réserve de pilotes en ouvrant une école de pilotage. Étant donné la nature de la formation délivrée, ces écoles sont sujettes aux accidents, alors que le coût des sinistres augmente en raison de la hausse des valeurs assurées et de l’activité. Les accidents à l’atterrissage sont les plus courants, mais les assureurs constatent également des sinistres totaux.
En prévision de la baisse du nombre de passagers aériens, un certain nombre de compagnies aériennes ont réduit leurs flottes ou retiré des appareils au cours de l’année. La pandémie a également accéléré l’adoption d’une nouvelle génération d’avions de plus petites dimensions, comme l’A787.
« La génération récente présente des avantages en termes de sécurité et d’efficacité, » indique Axel von Frowein, responsable régional de l’aviation chez AGCS. « Cependant, les nouveaux matériaux comme les composites, le titane et les alliages sont plus coûteux à réparer, et les demandes d’indemnisation sont donc plus élevées. »
Si le trafic de passagers a été durement frappé par la pandémie, d’autres secteurs de l’aérien, tels que le fret, ont réalisé des performances plus solides. En avril 2021, Asia Pacific a enregistré son meilleur mois pour le transport international de marchandises depuis le début de la pandémie, grâce à la hausse de la confiance des entreprises, du commerce électronique et de la congestion des ports. Ainsi, la capacité de fret de l’Amérique latine à l’Amérique du Nord a augmenté de près d’un tiers en mai 2021 par rapport à la même période de deux semaines en 2019. Le rapport prévoit une poursuite des performances du fret aérien.
Le marché de l’aviation d’affaires s’élevait avant la crise à 1 500 milliards de dollars par an, soit environ 1,7% du PIB mondial. Le rapport pose la question de l’infléchissement de cette tendance car de nombreuses compagnies aériennes revoient leurs prévisions à la baisse à court terme.
Les nouveaux modes de communication tels que la visioconférence ont montré leur efficacité, et de plus en plus d’entreprises envisagent de réduire les déplacements pour diminuer leur empreinte carbone. Par conséquent, même si la fin des confinements devrait entraîner un rebond des voyages d’affaires, les compagnies aériennes se préparent à un changement de modèle à long terme, et anticipent un lent redémarrage de cette activité.
Certains secteurs de l’aviation d’affaires ont cependant bien résisté pendant la pandémie, ce qui laisse présager une éventuelle reprise d’activité. Certaines compagnies qui possédaient des avions ont continué de les exploiter, et beaucoup d’autres, qui n’avaient jamais acheté ni loué d’avions auparavant, l’ont fait pour la première fois. De nombreuses compagnies d’affrètement se sont ainsi développées.
Plus de 1 400 liaisons aériennes supplémentaires devraient ouvrir en 2021, soit plus du double qu’en 2016, la plupart en Europe (plus de 600) et en Asie-Pacifique (plus de 500). Sur le seul marché intérieur chinois, plus de 200 nouvelles liaisons ont été créées, presque autant qu’aux États-Unis.
« Cette évolution est associée à une stratégie d’expérimentation en ces temps incertains, adoptée par certaines compagnies aériennes, notamment les plus petites, » explique Axel von Frowein. « L’ouverture de nouvelles liaisons permet de décongestionner l’espace aérien et les aéroports. Elle peut avoir un effet positif sur les incidents de manœuvre au sol, mais elle peut aussi accroître l’environnement de risque. »
Plusieurs rapports font état d’erreurs de mesure de la vitesse et de l’altitude lors des premiers vols effectués après la remise en service d’avions immobilisés. Dans la plupart des cas, ces problèmes étaient dus à la présence de nids d’insectes à l’intérieur des sondes Pitot, qui transmettent les données de pression au système informatique de l’avion. Ces incidents ont entraîné des refus de décollage et des demi-tours forcés. Le risque de présence d’insectes augmente si des procédures d’entreposage ne sont pas suivies.
Le rapport révèle qu’à ce jour, le secteur de l’aviation a enregistré relativement peu de sinistres directement liés à la pandémie. Dans un petit nombre de sinistres en responsabilité civile, les passagers ont poursuivi la compagnie aérienne pour annulation ou perturbation du vol. L’analyse de plus de 46 000 demandes d’indemnisation en aviation d’un montant supérieur à 14,5 milliards d’euros, effectuée de 2016 à la fin 2020, montre que les collisions et accidents représentent plus de la moitié de la valeur des sinistres. Les autres causes importantes de sinistre sont les travaux défectueux et les incidents de maintenance, ainsi que les bris de machine. Les chutes et glissades dans les aéroports constituent l’une des causes les plus fréquentes de sinistres, mais elles ont diminué pendant la pandémie en raison de la réduction considérable du trafic aérien mondial.