La gravité des sinistres a augmenté, alors que l’inflation va encore accroître les coûts. Il est essentiel pour les entreprises et leurs assureurs d’actualiser la valeur des actifs assurés.
Les ruptures des chaînes d’approvisionnement entraînent des carences fournisseurs d’un niveau encore jamais enregistré. Les sinistres cyber restent à un niveau élevé.
La guerre en Ukraine : les demandes d’indemnisation sont gérables dans la plupart des branches d’assurance.
Après un incendie dans un entrepôt essentiel, une entreprise se retrouve dans l’incapacité de reconstituer son stock de sécurité ; une attaque par ramsomware paralyse les systèmes informatiques d’une société, qui ne peut plus dès lors servir ses clients ; une vague de froid exceptionnelle provoque d’importantes coupures de courant, contraignant les entreprises à suspendre leur activité ; des adhésifs utilisés dans la production industrielle entraînent un rappel de produits coûteux… Chaque jour, des entreprises du monde entier et leurs assureurs font face à des sinistres, aux multiples formes, qui s’élèvent à plusieurs millions de dollars. Dans les cinq dernières années, les incendies et explosions, les catastrophes naturelles et les travaux ou l’entretien défectueux ont été les principales causes de sinistre en montant des demandes d’indemnisation, selon le rapport Global Claims Review 2022 d’Allianz Global Corporate & Specialty (AGCS).
« Au cours des cinq dernières années, la sinistralité des entreprises s’est aggravée en raison de différents facteurs, notamment l’augmentation de la valeur des biens et des actifs, la complexité accrue des chaînes d’approvisionnement et la concentration des expositions sur un même lieu, par exemple une zone à risque de catastrophes naturelles, » explique Thomas Sepp, Directeur de l’Indemnisation et membre du conseil d’administration d’AGCS. « Et la situation ne semble pas près de s’améliorer. Certes, les entreprises et leurs assureurs ont su résister à l’impact de la pandémie. Mais la guerre en Ukraine, la hausse du montant et de la fréquence des carences fournisseurs et le niveau élevé des sinistres cyber créent de nouveaux défis. De surcroît, l’impact d’une forte inflation dans le monde entier va se faire sentir dans de nombreuses branches de l’assurance et exercer une pression supplémentaire sur les coûts. »
Les pressions sur le montant des sinistres s’exercent dans de multiples domaines. Les sinistres en assurance dommages et construction sont notamment exposés à l’inflation, puisque les réfections et les réparations subissent la hausse des prix des matériaux et de la main-d’œuvre. En outre, les pénuries de matériaux et l’allongement des délais de livraison accroissent le montant des pertes d’exploitation. D’autres branches de l’assurance, telles que la responsabilité civile des mandataires sociaux, la responsabilité civile professionnelle et la responsabilité civile générale sont aussi sensibles aux pressions inflationnistes en raison de la hausse des frais de défense et du montant des règlements.
« Les opérations de remplacement sont de plus en plus chères et longues. Les demandes d’indemnisation des dommages aux biens et des pertes d’exploitation risquent donc d’être sensiblement plus élevées, » souligne Thomas Sepp. « C’est pourquoi l’actualisation des valeurs assurées pour tous les nouveaux contrats est une source de préoccupation majeure des assureurs, des courtiers et des assurés. Si elle n’est pas effectuée, les clients risquent de ne pas être entièrement remboursés en cas de sinistre. De leur côté, les assureurs risquent de sous-évaluer les expositions. Le marché de l’assurance a déjà enregistré plusieurs demandes d’indemnisation montrant un écart important entre la valeur déclarée par l’assuré et la valeur réelle de remplacement. » Ainsi, dans une demande d’indemnisation faisant suite à la destruction d’un immeuble commercial par les feux de forêt du Colorado en 2021, la valeur de reconstruction représentait près du double de la valeur déclarée, du fait de l’inflation, de la hausse de la demande et de la sous-assurance.
Vous pouvez lire un entretien détaillé avec Thomas Sepp concernant l’inflation et son impact sur les demandes d’indemnisation en cliquant ici.
Dans l’une des analyses les plus complètes du secteur, AGCS a identifié les principales causes de sinistre des entreprises en analysant plus de 530 000 demandes d’indemnisation reçues dans plus de 20 pays et territoires entre 2017 et 2021 (dans l’assurance des entreprises, le risque est généralement pris en charge par plusieurs assureurs, compte tenu de l’importance des valeurs assurées). Ces demandes d’indemnisation s’élèvent à environ 88,7 milliards d’euros. Les compagnies d’assurance ont donc versé en moyenne plus de 48 millions d’euros par jour sur cinq ans, pour couvrir les pertes.
L’analyse montre que les dix principales causes de sinistre représentent presque 75 % des pertes financières. Les trois premières concentrent à elles seules près de la moitié (45 %) du montant total. Malgré l’amélioration de la gestion des risques et de la prévention des incendies au fil des ans, les incendies et explosions (à l’exclusion des feux de forêt) restent la première cause identifiée de sinistre, soit 21 % du montant total des demandes d’indemnisation. Les incendies auraient entraîné plus de 18 milliards d’euros de demandes d’indemnisation en cinq ans. Le montant moyen d’une demande d’indemnisation atteint près de 1,5 million d’euros.
Les catastrophes naturelles (15 %) constituent la deuxième cause de sinistre dans le monde en montant d’indemnisation. À elles seules, les cinq principales causes de sinistre (sur plus de 20 000 demandes d’indemnisation dans le monde), à savoir les ouragans et tornades (29 %), les tempêtes (19 %), les inondations (14 %), le gel, le verglas et la neige (9 %) et les séismes et tsunamis (6 %) concentrent 77 % du montant total des demandes d’indemnisation. Les ouragans et tornades sont les catastrophes naturelles les plus coûteuses. Sur les cinq dernières saisons d’ouragans dans l’Atlantique, deux saisons (2017 et 2021) font désormais partie des trois plus actives et plus coûteuses jamais enregistrées. Elles ont également provoqué des tornades qui ont récemment atteint des niveaux record. De nouveaux scénarios sont également constatés par les assureurs. En 2021, la vague de froid au Texas et les inondations en Allemagne ont constitué des événements de grande ampleur et aux sinistres inattendus. Ainsi, le Texas Big Freeze de février a provoqué d’énormes perturbations dans les infrastructures et l’industrie. Les fermetures temporaires de nombreuses entreprises en raison des coupures de courant généralisées ont été responsables d’importantes carences fournisseurs. Cette seule catastrophe naturelle aurait causé 150 milliards de dollars de pertes financières.
Les travaux et l’entretien défectueux sont la troisième cause de sinistre en montant (9 %). Ils sont aussi la deuxième en fréquence (7 %), juste derrière les avaries de marchandises (11 %). Les incidents les plus coûteux sont notamment l’affaissement des bâtiments et des structures, les défauts de fabrication sur les produits et les composants, et les erreurs de conception.
Les autres causes de sinistre figurant parmi les dix premières sont les collisions et accidents d’avions (4e ; 9 %), les bris de machine (5e ; 5 %), les produits défectueux (6e ; 5 %), les incidents maritimes (7e ; 3 %), les marchandises endommagées (8e ; 3 %), la négligence et l’erreur de conseil (9e ; 2 %) et les dégâts des eaux (10e ; 2 %). En France, le TOP 3 des causes de sinistres sont les incendies et explosions (34%), les catastrophes naturelles (7%) et les marchandises endommagées (7%).
L’analyse des demandes d’indemnisation montre l’importance croissante de l’interruption d’activité à la suite de dommages aux biens. Elle révèle également que les demandes d’indemnisation de carences fournisseurs ont battu un nouveau record l’année dernière. Les pertes d’exploitation dues à l’interruption d’activité liée à un sinistre peuvent faire grimper sensiblement la note. Le montant moyen d’indemnisation des dommages aux biens dépasse 3,8 millions d’euros cette année contre 3,1 millions d’euros il y a cinq ans. Pour les sinistres de grande ampleur (supérieurs à 5 millions d’euros), le montant moyen d’indemnisation des dommages aux biens avec garantie pertes d’exploitation représente plus du double du montant moyen d’indemnisation des seuls dommages aux biens.
Le nombre de demandes d’indemnisation de carences fournisseurs n’a cessé d’augmenter ces cinq dernières années. Cette hausse illustre l’interdépendance et la complexité croissantes des chaînes d’approvisionnement des entreprises. L’industrie automobile seule a subi plusieurs carences fournisseurs. L’augmentation de ces sinistres dans le monde s’est accélérée au cours des deux dernières années à la suite d’un sinistre majeur dans le secteur des semi-conducteurs et de la vague de froid au Texas. Les sinistres liés à ces deux événements ont plus que triplé le nombre de demandes d’indemnisation de carences fournisseurs dans les trois dernières années.
Bien qu’ils ne figurent pas dans le top 10, les sinistres cyber ont sensiblement augmenté ces dernières années, sous l’effet de la hausse d’incidents tels que les attaques par ramsomware, mais aussi de la croissance de l’assurance cyber. AGCS a reçu plus d’un millier de demandes d’indemnisation en 2020 et 2021, contre moins d’une centaine en 2016. La fréquence des sinistres a commencé à se stabiliser, mais à un niveau élevé.
Le rapport décrit également l’impact sur l’assurance des derniers événements, tels que la pandémie et la crise en Ukraine. Les pertes d’assurance liées à la Covid-19 sont estimées à 44 milliards de dollars. La plupart concernent l’assurance annulation d’événements et pertes d’exploitation dans le cas des entreprises touchées par les confinements. La pandémie a également eu des répercussions telles que les tensions sur les chaînes d’approvisionnement, l’accélération de l’inflation et les dépôts de bilan.
Par ailleurs, l’invasion de l’Ukraine par la Russie pourrait engendrer des pertes importantes, mais gérables, pour le secteur mondial de l’assurance. L’exposition des assureurs au conflit est limitée par les exclusions des risques de guerre, qui sont classiques dans les contrats d’assurance dommages. Selon AGCS, les pertes assurées attendues sont comparables à celles d’une catastrophe de taille moyenne. Toutefois, les assurances des risques spéciaux, comme l’assurance aviation, pourraient essuyer des pertes exceptionnelles.